Cinq docteures de l'EHESS récompensées par les prix de la Chancellerie 2023

L'EHESS est fière de compter cinq de ses jeunes docteures parmi les lauréates et lauréats des prix de la Chancellerie des Universités de Paris pour leurs thèses soutenues entre 2022 et 2023.
Les prix de la Chancellerie récompensent l’excellence de la valeur universitaire et scientifique d’une thèse de doctorat soutenue au cours de l’année civile précédant l’année d’attribution. Ils s’adressent à tous les étudiants franciliens en droit et sciences politiques, sciences économiques et gestion, médecine et sciences, lettres et sciences humaines et pharmacie.
La remise des prix aura lieu le 6 décembre 2023.
Violaine Baraduc - Prix littéraire Henri Hertz
Violaine Baraduc est chercheuse affiliée à l’Institut des mondes africains (Imaf). Anthropologue, elle est aussi réalisatrice documentaire. Titulaire de la bourse postdoctorale de la Fondation pour la mémoire de la Shoah, elle mène actuellement une recherche sur les sociabilités de genre et l’autonomie criminelle des femmes durant le génocide perpétré contre les Tutsi du Rwanda en 1994. Elle bénéficie pour cela du soutien du programme Atlas. Elle développe en outre un projet sur la mise en pratique au Rwanda d’un ordinaire de la paix, à partir de deux études respectivement lauréates du Fonds Louis Dumont et des aides aux repérages et à l’écriture de la Scam et du Centre national de la cinématographie (CNC) : sur « Les villages de la réconciliation » et sur le retour de prisonnières génocidaires parmi leurs anciens voisins.
Sa thèse est intitulée « Violences d’un autre genre. Ethnographier les mémoires criminelles des prisonnières génocidaires du Rwanda ». Elle a été conduite à l’EHESS sous la direction de Jean-Paul Colleyn et Stéphane Audoin-Rouzeau. Celle-ci porte sur la participation des femmes au génocide de 1994, ainsi que sur l’élaboration d’une mémoire des massacres dans l’espace carcéral. À partir de plusieurs enquêtes réalisées principalement en prison entre 2009 et 2017, elle fait apparaître depuis différentes échelles et méthodes les spécificités de la violence génocidaire féminine, à la fois dans son exécution, dans sa judiciarisation et dans sa mise en récit. Elle est adossée à un long métrage documentaire titré À mots couverts, qui est autant l’un des outils que l’un des résultats de la recherche.
Cette thèse a reçu plusieurs prix : l’accessit du prix de thèse de l’EHESS, le « Prix Fondation Auschwitz », le prix de thèse Henri Hertz de la Chancellerie des universités de Paris, et le prix de thèse Tillion-Rivière de l’Association française d’ethnologie et d’anthropologie.
Leila Drif - Prix Lettres et Sciences humaines
Leila Drif est docteure en anthropologie de l’EHESS, et chercheuse associée à l’Institut Français du Proche-Orient (IFPO), à l’Institut de recherche interdisciplinaire sur les enjeux sociaux (Iris), ainsi qu’à l’Institut Convergence Migration (ICM).
Ses recherches débutent au Liban dans le cadre d’un premier master en histoire à Paris 1 Panthéon-Sorbonne, et d’une licence de langue et civilisation arabe à l’Inalco. Son travail en socio-histoire s’intéresse à la gestion humanitaire de l’accueil des réfugiés arméniens à Beyrouth (1918-1937), ce qui la conduit à effectuer un semestre d’échange à l’Université Saint-Joseph, au cours duquel elle assiste à l’arrivée des premiers réfugiés de Syrie. Elle poursuit alors ses recherches en ce sens, au sein du master Etude comparative de développement de l’EHESS, et réalise une thèse à l’Iris, sous la codirection de Blandine Destremau et de Michel Agier : « La construction relationnelle de la protection : un espace-refuge des Syriens à Beyrouth ».
Cette thèse porte sur la construction de la protection des réfugiés hors des cadres conventionnels du droit d’asile, et en contexte urbain. Elle analyse la manière dont les rapports sociaux d’accueil créent localement des formes alternatives de protection pour les personnes syriennes réfugiées, alors que le Liban ne reconnaît pas la Convention de Genève sur le statut de réfugié. L’enquête ethnographique s’est déployée pendant près de deux ans dans un quartier irrégulier de Beyrouth, constitué en espace refuge pour les Syriens en exil, ainsi que dans différentes unités du dispositif humanitaire international. La retranscription ethnographique de cette recherche puise à différents registres d’écriture et de courants disciplinaires ; associant des fragments poétiques et réflexifs, à des propositions théoriques empruntées aux refugee studies ; à l’anthropologie des marges urbaines et du droit, ainsi qu’à l’étude critique de l’aide internationale.
Cette thèse a bénéficié d’un contrat doctoral du Labex Tepsis, et de la bourse d’accomplissement 8/9 de l’EHESS dans la mention Droit et Société. Elle a également reçu une mention spéciale du prix de thèse IMOMM 2023 (IISMM et GIS Moyen-Orient et mondes musulmans), et a été lauréate du prix de la Chancellerie des Universités de Paris, dans la mention Lettres et Sciences humaines, toutes spécialités.
Actuellement, Leila Drif poursuit ses recherches dans deux nouvelles directions : la première concerne l’accès aux droits du travail des personnes migrantes en France, et à leur insertion socio-professionnelle via le bénévolat ; sujet d’une recherche qui a été lauréate d’une bourse de la Fondation de la Croix-Rouge française, et accueillie au laboratoire Migrinter. La seconde porte sur les économies de subsistance des classes populaires urbaines en Polynésie française, dans le cadre d’une recherche postdoctorale qu’elle mène, depuis mai 2023, au sein de la Maison des Sciences de l’Homme du Pacifique.
Margot Lyautey - Prix Lettres et Sciences humaines
Margot Lyautey est docteure en histoire, post-doctorante à l’université Helmut Schmidt (Hambourg) et chercheuse associée au Centre Marc Bloch (Berlin). Après des études à l’École polytechnique et un master à l’EHESS (mention « histoire des sciences, techniques et sociétés »), Margot Lyautey a réalisé une thèse en cotutelle entre l’EHESS et l’université Eberhard Karl de Tübingen sous la direction de Christophe Bonneuil et Johannes Großmann.
Sa thèse, « Apprendre de l’occupant ? Modernisation de l’agriculture française entre 1940 et 1944 : acteurs, influences, potentialités », s’appuie sur des archives allemandes et française et met en évidence la vigueur du projet d’exploitation et d’intensification de l’agriculture française porté par le pouvoir national-socialiste. Elle démontre l’importance des circulations, bien que sous contrainte, de savoirs, d’hommes et de pratiques administratives. La politique agricole négociée entre autorités d’occupation et experts français est le lieu d’une collaboration dite technique, où l’on reconnaît des orientations caractéristiques d’une « modernisation agricole française » communément associée à l’après-1945.
Cette thèse a été récompensée par plusieurs prix : le prix de la Chancellerie des Universités de Paris (en « lettres et sciences humaines », toutes spécialités), le prix Michael Werner du Centre interdisciplinaire d'études et de recherches sur l'Allemagne (Ciera) et le prix de thèse de la faculté de philosophie de l’université de Tübingen.
Wendy Ramadan-Alban - Prix Sciences politiques
Wendy Ramadan-Alban (prix spécialisé en sciences politiques de la Chancellerie) est docteure en sciences politiques de l’EHESS et docteure en sciences politiques et sociales de l’université de Namur (Belgique). Ancienne élève de l’IEP Lille, elle a réalisé sa thèse intitulée « La grande stratégie de la République islamique d'Iran : le cas des négociations sur le programme nucléaire iranien (2003-2015). » dans le cadre d’une cotutelle de thèse sous la direction des professeurs Thierry Balzacq (Université de Namur et Sciences Po Paris) et Stéphane Dudoignon (CNRS-GSRL). Elle occupe actuellement le poste de déléguée au développement international et aux relations institutionnelles à l’Institut de recherche stratégique de l’École militaire. Elle est également chercheuse associée au Centre d'études turques, ottomanes, balkaniques et centrasiatiques (Cetobac).
En prenant comme principal point d’appui les négociations sur le nucléaire iranien (2003-2015), la thèse montre comment la République islamique d’Iran a su construire un rôle international alimenté par un répertoire d’actions très diversifié hérité des décennies précédentes et couvrant l’ensemble du spectre stratégique : adaptation, soumission aux contraintes du système international ou remise en cause de celui-ci. À travers l’exploitation d’une littérature produite par les think tanks iraniens, Wendy Ramadan-Alban constitué un matériel empirique inédit qui permet de retracer les débats internes des élites iraniennes à propos de leur environnement international.
Avant de commencer sa thèse, elle a étudié le persan à l’Inalco ainsi qu’à l’institut Dehkhoda basé Téhéran où elle a obtenu un certificat de niveau avancé en persan en 2011.
Elle a également bénéficié de la bourse doctorale DGRIS (2017-2020), ainsi que de l’allocation annuelle de l’IRSEM (2016-2017).
Caroline Taïeb - Prix littéraire Henri Hertz
Caroline Taïeb est docteure en sociologie de l’EHESS. Elle a soutenu sa thèse intitulée « La discrimination des burakumin dans le Japon contemporain. Analyse sociologique d'un racisme invisible » le 9 décembre 2022. Cette recherche doctorale a été réalisée sous la direction de Serge Paugam (EHESS - Centre Maurice Halbwachs) et du sociologue japonais Ishimoto Kiyohide (rattaché à l’université du Kansai). Boursière du gouvernement japonais pendant quatre ans, elle a mené deux enquêtes qualitatives et une enquête quantitative principalement dans le Japon de l’ouest (le kansai) et dans le département de Fukuoka auprès de burakumin, de non-burakumin, de militants de la Ligue de libération des buraku, des universitaires et des travailleurs sociaux.
Ce travail est l’aboutissement d’un long cheminement intellectuel qui s’inscrit dans la continuité du combat d’Henri Hertz pour la défense des plus faibles et des opprimés. Il réaffirme ainsi la nécessité de combattre toutes les formes d’injustices dans chaque société humaine.
Marion Philip - Prix Benabou 2023
Marion Philip est docteure de Sorbonne Université en histoire moderne et contemporaine. Elle a réalisé une thèse sous la co-direction de François-Jospeh Ruggiu (CRNS - Sorbonne Université) et Sylvie Steinberg (EHESS - Centre de recherches historiques) intitulée « La sexualité légitime comme privilège. Masculinités parisiennes à l'époque moderne (1600-1750) ». Elle est également lauréate des prix de la Chancellerie de Paris.
Son projet de recherche s’inscrit dans la toute récente préoccupation des chercheurs français pour les identités masculines. L’objectif est d’étudier l’interaction entre les comportements sexuels des hommes et le processus d’identification masculine, ce que ces comportements nous disent des rapports entre les sexes, des normes sexuelles et sociales et de leur appropriation différenciée par les hommes. Pour mener cette étude, un corpus de littérature médicale, morale et juridique, ainsi que d’écrits personnels est mobilisé. Mais le cœur du projet repose sur les archives de l’Officialité parisienne entre 1600 et 1750, où apparaissent à la fois la sexualité des clercs, mais surtout de laïcs. Ces sources, d’une grande richesse, nous dévoilent les pratiques et discours sexuels d’hommes et de femmes issus de catégories sociales très diverses.